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Une rencontre incroyable
Je suis ravie d’avoir eu la chance de rencontrer cet homme exceptionnel. Malgré le sujet sérieux que nous avons traité, Brian Parritt est un homme charmant et joyeux, toujours prêt à plaisanter. Ses souvenirs de jeune officier artilleur britannique pendant la guerre de Corée (1950-1953) sont pleins d’émotions : peur, tristesse, joie et fraternité. En tant que Française, j’ai été fière d’apprendre qu’il éprouve un grand respect et une grande admiration pour les Français, qui se sont engagés volontairement dans ce conflit. Ses anecdotes les concernant sont nombreuses, et je suis heureuse de pouvoir en partager quelques-unes avec mes lecteurs, ainsi que le reste de ses histoires, en hommage à tous les soldats de diverses nationalités des deux « camps » qui ont combattu dans cette guerre trop souvent oubliée.

Brian Parritt à Hong-Kong. Photo de la collection personelle de Brian Parritt
L’interview
Quels sont vos souvenirs de votre première arrivée dans le pays en guerre ?
Nous sommes arrivés en décembre 1952. Il faisait très froid et sombre. Il neigeait, même. Les villes étaient toutes terriblement détruites, les gens semblaient extrêmement pauvres, il y avait beaucoup de réfugiés. Lorsque nous sommes arrivés, ce n’était pas un endroit attrayant, ce qui est incroyable lorsque l’on compare la Corée de l’époque au formidable et magnifique pays qu’elle est devenue. C’est magique.
Que pouvez-vous nous dire des soldats Nord-Coréens et Chinois ?
Je pense que nous avions du respect pour eux. Il faut dire qu’ils étaient vraiment courageux. Ils n’avaient pas tout l’équipement que nous avions, le leur était plus vieux. Nous avions aussi de meilleurs vêtements, ils portaient des sandales au lieu de bottes. Mais la bravoure était bien là. Ils attaquaient sans cesse : ils étaient motivés et ils croyaient, je pense, qu’ils faisaient ce qu’il fallait pour mettre fin à l’oppression américaine. Sans parler politique, nous respections la bravoure de ces soldats.
La bataille pour le Crochet a été parmi les plus meurtrières de la guerre de Corée. Quels souvenirs en avez-vous gardé ?
Nous étions proche du cessez-le-feu, les gens pensaient qu’il pourrait être déclaré à tout instant. Cet endroit, le Crochet, était une colline qui dominait la zone entre la ligne chinoise et notre ligne. C’était également la colline qui surplombait la route vers le sud. C’était une position très tactique et stratégique à avoir si un cessez-le-feu devait avoir lieu. Donc les Chinois ont décidé qu’ils voulaient la prendre. Et ils étaient déterminés à le faire. Ils ont d’abord attaqué les marines américains, puis le régiment britannique Black Watch et enfin le régiment du Duc de Wellington. Et ils l’ont fait par des bombardements d’artillerie intenses pendant deux ou trois jours. En plus des vagues de soldats d’infanterie attaquant la colline. Et très courageusement, comme lors de la première guerre mondiale, ils se sont battus dans les tranchées et ont atteint les postes de commandement. Mais les Chinois ont perdu. C’était une bataille très dure.

Baker One gun team lors d’une mission de tir harcelant au Crochet. Photo de la collection personelle de Brian Parritt
Je me souviens que le bataillon Français était à côté du nôtre. Les Chinois étaient si vulnérables en passant de leur position à la nôtre, que les Français ont demandé plus d’artillerie afin d’obtenir plus de tirs d’obus à l’avant de leur bataillon. Une batterie de mon régiment a donc été détachée pour aller les soutenir. Le major de notre régiment d’artillerie s’est placé au même poste de commandement que l’officier commandant français. Les deux capitaines étaient avec la compagnie française la plus à l’avant. Ils sont devenus amis. Le bataillon français a reçu un vin algérien, c’était comme de l’essence dans un jerrican, c’était très mauvais. Notre commandant de batterie en a reçu deux bouteilles, et plus tard le colonel a dit : « Vous avez aimé le vin ? » Et il a répondu : « J’ai bien peur que non » [rires] En effet, il fallait y ajouter 15 à 20% d’eau, mais bon… [rires]

Une tranchée menant au PO de Baker Troop avant la troisième bataille du Crochet. Brian Parritt raconte que les conditions sur la ligne de front étaient similaires à celles de la Première Guerre mondiale. Photo de la collection personnelle de Brian Parritt
Pourriez-vous nous parler de l’erreur tragique commise par les trois avions de chasse Mustang sur la colline de Middlesex ?
Des choses tragiques qui arrivent à la guerre. Le problème, c’est que ces avions utilisaient du napalm, cette arme terrible : de l’essence brûlée. C’est un liquide enflammé qui attaque votre chair, vous brûlez jusqu’à l’os. Les Middlesex étaient en première ligne et les avions arrivaient à 160 km/h vers les positions. Entre notre ligne de front et celle des Chinois et des Nord-Coréens, il n’y avait même pas un kilomètre. Par erreur, ils l’ont largué sur notre ligne de front et non sur les Nord-Coréens. Ils ont été détruits. Ces erreurs arrivent à la guerre.
Vous avez été blessé pendant le conflit. Que s’est-il passé ?
Les Chinois étaient arrêtés par les tirs d’artillerie effectués à l’air libre. Nous tirions des obus qui éclataient en l’air et les fragments se dispersaient alors vers le bas, tuant les Chinois qui nous attaquaient. Ils ont alors décidé de construire des grottes près de notre ligne de front afin de réduire la distance entre leur ligne et la nôtre. Mais nous ne pouvions pas les détruire, et il a donc été décidé d’envoyer une compagnie d’infanterie dans le No man’s land avec des ingénieurs munis de charges explosives attachées à de longues perches afin d’aller détruire les grottes : nous étions dans l’obscurité, et j’étais là pour assurer le soutien d’artillerie. Les Chinois ont compris que nous arrivions. Nous avons commencé à tirer. Le fantassin d’infanterie qui se trouvait à côté de moi a marché sur une mine. C’était une de ces mines à ressort. Il s’agit de trois petites pointes dans le sol et quand vous posez votre pied dessus, elles sont poussées vers le bas mais dès que vous relevez votre pied, elles sautent à la hauteur de votre corps. Il a été tué et celui d’à côté aussi. Je suis tombé et ai été blessé, mais j’ai pu continuer ce que je devais faire…
Le premier jour du cessez-le-feu, votre ami Mervyne Ryder et vous-même avez décidé de faire la fête. Vous avez fait une rencontre très spéciale. Pouvez-vous nous raconter cette histoire ?
Ce qui s’est passé, c’est que la veille du cessez-le-feu (nous n’étions pas sûrs qu’il serait déclaré), je regardais la position de l’ennemi à travers mes jumelles et j’ai vu deux soldats chinois avec des chapeaux blancs près de la ligne téléphonique. Nous avons tiré, en essayant de les tuer. À 22 heures cette nuit-là, le cessez-le-feu a été annoncé. Nous avons regardé dehors, il faisait complètement noir, c’était le calme plat. Puis nous avons entendu le bruit des mortiers chinois et pensé : « Oh non, ils vont continuer la guerre. » Mais ce n’était pas le cas, c’était des guirlandes électriques qui s’allumaient. Des lumières rouges et vertes, puis jaunes, et nous savions que c’était la fin de la guerre. Et puis nous avons entendu des acclamations dans le noir, des chants de célébration. En fin de matinée, Mervyne Ryder, le commandant du peloton, et moi sommes allés nous asseoir au sommet du poste d’observation. On buvait une bière et il a dit : « Allons dans le No Man’s Land. Traversons les barbelés et allons jusqu’en bas. » Alors, plutôt à contrecœur, j’ai répondu : « Oui, faisons ça. »

Brian Parritt célébrant l’armistice avec le commandant de peloton, le lieutenant Mervyn Ryder, au sommet du Baker Troop OP. Photo de la collection personnelle de Brian Parritt

Rencontre avec deux soldats chinois. Photo de la collection personelle de Brian Parritt
Vous avez une anecdote amusante sur la libération de prisonniers français. Pouvez-vous la partager avec nous ?
C’était à la fin de la guerre. Quand les portes se sont ouvertes, des soldats de différentes nationalités étaient enfin libérés. Certains avaient été des prisonniers de guerre pendant trois ans, voire plus. C’était un grand moment. Ils ont compris qu’on les libérait enfin. La première chose qu’on leur a dit, c’était : «Vous êtes libres ! Qu’est-ce que vous voulez manger ?» Les Américains ont répondu « Steak frites, » les Anglais « Fish and chips » et les Français… « Du vin ! » [rires]
Les Français et le vin ! Une grande histoire d’amour (rires)
On vous pose souvent la question : « Est-ce que ça en valait la peine ? » Que répondez-vous ?
« Oui. » Il est vrai que nous avons subi beaucoup de pertes, le bataillon français par exemple a perdu près de 300 soldats, il me semble. Et nous avons eu des morts dans notre régiment aussi. Mais quand on regarde en arrière, qu’on se souvient de la Corée en 1952 et qu’on voit ce qu’elle est maintenant : une des premières économies mondiales, un pays démocratique, avec de grandes universités, Samsung, l’industrie du transport maritime, la liberté… et qu’ensuite, on la compare avec le Nord : on doit dire que ça valait le coup.
Pensez-vous que la Corée sera réunifiée ? Est-ce quelque chose que les Coréens souhaitent ?
Cela arrivera. C’est comme en Allemagne : pendant la guerre froide, nous voyions les Allemands de l’Est comme étant différents des Allemands de l’Ouest : « Les Allemands de l’Ouest sont bons, les Allemands de l’Est sont mauvais. » Mais eux pensaient : « on est tous Allemands. » Le reste du monde faisait une distinction. Maintenant, il n’y a qu’une seule sorte d’Allemands. Donc les Coréens du Sud et les Coréens du Nord ne forment qu’un seul et unique peuple. Finalement, lorsqu’ils adopteront la bonne politique, ils seront réunifiés. Cette merveilleuse photo des deux présidents franchissant ensemble la ligne de démarcation est bon signe, mais il ne s’agit encore que de discussions, de politique. Les Coréens aimeraient qu’une réunification ait lieu, mais ils sont plus méfiants je pense, ils sont plus prudents. Ils sont conscients de l’existence de nombreux problèmes, comme ce fut le cas lorsque les Allemands de l’Est ont rejoint l’Allemagne de l’Ouest. Tout d’un coup, nous avons vu un peuple et une économie totalement communistes rejoindre le système démocratique et l’économie occidentale. L’Allemagne de l’Ouest et de l’Est avaient des différends au début.
Aimeriez-vous que la Corée soit réunifiée ?
Absolument. J’ai beaucoup d’admiration pour le peuple Coréen ; sa culture, sa poésie, ses peintures, ses traditions, son héritage. Lorsque ce beau pays sera de nouveau uni, ce sera merveilleux.
Avez-vous autre chose à ajouter ?
Je suis très fier de notre relation avec le bataillon français. Nous les connaissions bien car ils chargeaient à la baïonnette. Dans les guerres modernes, on utilise plutôt des armes de longue portée, de tir. Mais lorsque le combat se faisait féroce, ils prenaient leur baïonnette et passaient à l’attaque. Ils avaient ainsi la réputation d’être courageux. C’était bien pour nous d’avoir une telle relation avec cette artillerie. C’est bon de savoir que l’on a un bataillon fort de son côté ! Je suis ravi pour les Français que vous fassiez cette interview, parce qu’il me semble que certains soldats français ont, eux aussi, pensé que cette guerre avait été oubliée à leur retour. Et ils s’étaient tous engagés volontairement, vous voyez. Ce n’était pas mon cas : j’étais un soldat qui avait reçu l’ordre d’aller en Corée. Vous pouvez être fiers de vos soldats français.
Vous les surnommez les « Poilus », n’est-ce pas ? Ce nom leur va bien, ils ont suivi cette tradition ! [rires] Bien sûr, le souci avec les Américains était qu’ils n’avaient pas d’alcool. Les Français insistaient pour qu’ils aient « du vin ! ». Les Américains étaient chargés de fournir la nourriture et les Français s’assuraient qu’ils avaient aussi du vin.
Merci beaucoup de nous avoir fait part de cette expérience.
M. Parritt a pris sa retraite après 38 impressionnantes années de fonction à l’armée. Il est le seul citoyen britannique à avoir reçu la prestigieuse Médaille Moran de l’Ordre du mérite civil en 2018, qui lui a été remis en personne par Moon Jae-in, le président sud-coréen.
Si vous souhaitez en savoir plus, lisez « Chinese Hordes and Human Waves », ses mémoires au sujet la Guerre de Corée (en anglais). Retrouvez cet ouvrage aux adresses suivantes :
https://www.amazon.co.uk/Chinese-Hordes-Human-Waves-Perspective/dp/1783373725

La couverture du livre « Chinese Hordes and Human Waves: a Personal perspective of the Korean War » Photo de la Collection personnelle de Brian Parritt